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A Dieu à Hubert Tournès (François Becker)

Ecrit le Lundi décembre 12 2011 par FHEDLES : A l'affiche, textes en ligne

Cher Hubert,

Tu nous vois rassemblés cet après-midi pour faire mémoire de toi, non pas souvenir, mais mémoire, car tu es bien vivant, notamment pour moi tant tu as contribué à faire ce que je suis devenu, par ton témoignage d’authentique disciple de Jésus, par ton humanité rayonnante et ton dynamisme infatigable pour faire aboutir ce qui t’était essentiel. Ayant en effet médité et intériorisé l’esprit de l’Evangile, tu as compris que la grande révélation de Jésus est que chaque homme et chaque femme, est une incarnation particulière de Dieu son père, incarnation que lui, Jésus, a réalisée dans sa totalité. Tu as ainsi saisi que le salut pour chacun d’entre nous est la prise de conscience de cette réalité d’en vivre et de la faire partager. Tu t’es ainsi battu pour que chaque homme et chaque femme, quelle que soit leur conviction religieuse ou philosophique, puisse vivre en frères et sœurs en humanité, libérés de contraintes et préjugés contraires à l’esprit de l’Evangile, respectueux les uns des autres et reconnus les uns par les autres pour ce qu’ils sont, égaux, libres et partageant la même dignité et les mêmes droits tant dans la société que dans les Eglises. Evangile, Humanité faite Homme et Femme, Egalité, Dignité, Droits, Libertés, sont des mots et des valeurs qui jalonnent le chemin de ta vie.

Dût ta modestie bien connue en souffrir, si nous sommes tous là autour de toi et ta famille, présents de corps et/ou d’esprit, venant de nombreux pays du monde, de mouvances différentes, c’est que tu nous a tous marqués par ce que tu es, par ce que tu as témoigné, par ce que tu nous a apporté et par ce que tu nous a entraîné à construire, et cela par ce que libérée par l’Evangile, ton humanité rayonnante soutenue par ta foi profonde, transparaissait dans nos relations.

Nous percevions aussi, malgré ta discrétion, combien Colette, tes enfants et tes petits enfants contribuaient à leur façon à faire ce que tu es pour nous. C’est pourquoi, nous partageons leur peine et leur tristesse, peine mêlée pour moi de l’Espérance de te savoir, Hubert, vivant auprès de Jésus d’une manière mystérieuse que je ne découvrirai à mon tour que le jour de mon passage par la mort.

Ainsi, en témoignent, dans des lettres chaleureuses adressées tant à ton épouse Colette qu’à moi, beaucoup de tes amis et de ceux et celles avec lesquels tu as œuvré à travers le monde quelle que soit leur conviction. Quand on lit tous ces témoignages on est frappé à la fois par leur convergence dans la reconnaissance de la profondeur, de la qualité et de la richesse de la marque que tu as laissée, et par la diversité des lieux et des associations d’où ces personnes s’expriment : Ligue des droits de l’Homme, Femmes Hommes Egalités Droits et Libertés dans les Eglises et la Société, Fédération des réseaux du Parvis, Observatoire Chrétien de la Laïcité, Réseau Européen Eglises et Libertés, Mouvement International Nous Sommes Eglise, Plateforme du Parlement Européen pour la Laïcité en Europe, Alliance pour une Europe séculière, Groupe de Travail International, Interculturel et Interconvictionnel, Réseau Culture et Foi, Fédération Humaniste Européenne, Centre d’Action Laïque, la Pensée libre…Tous ces noms pourraient faire croire à une dispersion ….Il n’en est rien. Bien au contraire, elle montre l’influence que tu avais à travers le monde à cause de ce que tu y as apporté et construit comme voudrait l’illustrer ce bref historique des aspects de tes activités dans lesquels j’ai été impliqué, bien incomplet, certainement, tant il est riche.

 

C’est après la lecture du  « Manifeste de la liberté chrétienne »  publié dans « Le Monde » du 22 mars 1975, signé par plusieurs Dominicains et théologiens dont Bernard Quelquejeu, Hervé Legrand et Patrick Jacquemont que, soucieux de faire passer dans la pratique les ouvertures de Vatican II, tu vas rencontrer Jacques Chatagner, président de Temps Présent, pour mettre en pratique ce que prône ce manifeste dans lequel tu te retrouves pleinement. Tu crées alors avec lui et les signataires du Manifeste le Collectif « Droits et Libertés dans les Eglises ». Ce collectif, véritable think tank, organise avec grand succès en 1987 un Forum « Droits et Libertés dans les Eglises », puis  en 1990 un deuxième colloque sur la « démocratie dans l’Eglise » qui te conduisent à transformer en 1992 ce collectif en association « Droits et Libertés dans les Eglises », dont Jacques Chatagner prend la présidence et à qui tu succèdes lors de sa mort.

Très tôt, tu perçois que  « Droits et Libertés dans les Eglises (DLE)» doit créer des liens au-delà des frontières nationales. Ainsi tu contribues à la rédaction de la Charte des droits des catholiques dans l’Eglise publiée en 1983 par l’Association for the Rights of Catholics in the Church, ARCC (USA), charte qui devient en 1992 Déclaration des droits et libertés dans les Eglises publiée par DLE, puis déclaration du Réseau Européen que tu venais de créer avec Gerd Wild.

En effet, actif dans la paroisse St Hyppolite à Paris, tu y rencontres dès 1987 Gerd Wild qui vient avec une délégation de sa paroisse d’Eschborn pour une rencontre entre chrétiens réformateurs. Frustrés l’un comme l’autre par l’évolution de l’Eglise, vous êtes allés, en 1989, rencontrer les initiateurs du Mouvement du 8 mai en Hollande, qui organisaient de grands rassemblements de réformateurs depuis 1985, et là vous décidez d’organiser une première « Conférence Européenne pour les Droits et les Libertés dans l’Église (CEDLE) » qui s’est tenue du 5 au 7.Janvier 1990 dans le monastère des Dominicains à Huissen en Hollande. Lors de la seconde conférence annuelle qui s’est tenue à Eschborn en 1991, il a été décidé d’élargir les questions à traiter et vous avez réuni dès cette année la première rencontre à Eschborn d’un réseau européen nommé provisoirement « L’Eglise en mouvement ».  Ce réseau n’a cessé de se développer et de s’ouvrir à des pays européens de plus en plus nombreux pour devenir le « Réseau Européen Eglises et Libertés », après la fusion avec la Conférence pour les droits et libertés dans les Eglises, réseau dont nous avons eu le plaisir de célébrer avec toi et Gerd  le 20ème anniversaire en avril dernier au monastère de Montserrat, lieu célèbre de la résistance à la dictature…..

Quel parcours déjà ! En moins de 20 ans depuis la parution du manifeste, tu as créé un véritable réseau européen d’associations, avec Gerd et tu as créé des liens avec les USA et tu as fortement contribué à la naissance de la Fédération des réseaux du Parvis. Aussi n’est-ce pas étonnant que dès le lancement en 1995 par les autrichiens puis les allemands de la « requête du peuple chrétien » qui a aboutit en 1996 au mouvement international Nous Sommes Eglise (IMWAC), tu t’y sois très fortement investi, faisant de DLE la composante  française de ce mouvement mondial.

 

Tu as vite saisi aussi, cher Hubert, que les chrétiens réformateurs ne devaient pas se limiter à se battre pour la réforme de l’Eglise, mais qu’ils devaient s’investir fortement dans la société pour y porter une parole exprimant leur manière de traduire leur perception de l’Evangile dans les questions de société. Ainsi, tu as joué un très grand rôle dans la place que les chrétiens réformateurs ont acquise au sein des institutions de l’Europe à côté, parfois même contre, les positions du magistère de l’Eglise Catholique. Il faut évoquer ton combat et la part active que tu as prise au débat public aux côtés de la Fédération Humaniste Européenne sur les articles concernant la démocratie participative, notamment le rôle institutionnel des Eglises lors de la préparation du Traité Constitutionnel européen  (TCE), puis plus tard lors de la pression du Vatican pour introduire les valeurs chrétiennes dans le traité de Lisbonne. Tu as tout naturellement été à l’origine de la décision prise par le Réseau Européen, lors de sa rencontre annuelle de 2004 à Zurich, de demander le statut participatif auprès du Conseil de l’Europe, ce qui a conduit le réseau Européen à évoluer et à s’intéresser de plus en plus aux relations Eglise et société dans l’Union européenne.

Ainsi grâce à ton travail constant, la voix de chrétiens réformateurs peut se faire entendre officiellement au sein des instances européennes via les représentants du Réseau Européen au Conseil de l’Europe et au niveau des institutions de l’Union Européenne, notamment du parlement européen dans le cadre de sa « plateforme pour la laïcité en politique » et du Conseil consultatif de cette plateforme où tu représentes le Réseau Européen.

Mais  tu ne t’es pas contenté de cette ouverture réussie vers les questions de société européennes. Tu as vite compris que, dans une Europe multireligieuse avec une grande partie de sa population athée ou agnostique, il fallait sortir du cadre de la religion chrétienne pour aborder les questions européennes. Aussi, as-tu été à l’origine lors de la rencontre annuelle du Réseau Européen à Madrid en 2005, de son ouverture interreligieuses puis interconvictionnelles. Tu as ainsi été un des initiateurs du G3i, groupe de travail interculturel, international et interconvictionnel que nous avons mis en place ensemble et qui fait son chemin en Europe après avoir organisé au Conseil de l’Europe avec succès son premier colloque en 2007 et le second en janvier 2012..

Toujours attentif aux évolutions du monde et de la société, et donc de l’Eglise tu voulais «  Faire Eglise Autrement ». Aussi as-tu contribué à la création d’un atelier sur ce thème que tu as animé avec enthousiasme et succès en prenant en compte l’expérience des différentes communautés ecclésiales et des communautés de bases que tu as rencontrées. Dans ce cadre, tu as  organisé en 2005 un colloque, (un de plus !), sur le thème « Faire Eglise autrement, un monde autre, des communautés autre », tu as rédigé de nombreux articles, interpellé les évêques, notamment dans la « Lettre ouverte de catholiques aux évêques de France » de la pentecôte 2007, et récemment encore dans tes contributions à un ouvrage collectif « Du neuf chez les Cathos » publié en 2010 chez Golias.

Soucieux d’éviter la sclérose qui nous menace tous, l’âge avançant, tu as aussi trouvé le temps et l’énergie d’être un artisan majeur du renouvellement de ce que furent les associations Droits et Libertés dans les Eglises et Femmes et Hommes en Eglise par la création  de l’association FHEDLES.

 

Tu as semé, Hubert, des graines qui se sont développées et sont devenues des arbres qui balisent un chemin d’humanité libérée prenant sa source dans l’Evangile et conduisant au Royaume annoncé par Jésus, chemin sur lequel tu as invité beaucoup parmi nous à t’accompagner.

Ton combat pour libérer l’humanité, cette belle prisonnière des soldats, avec ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, est bien évoqué par Louis Aragon dans son poème « la rose et le réséda » dont je relis trois strophes pour toi:

« Celui qui croyait au ciel

Celui qui n’y croyait pas

Tous deux adoraient la belle

Prisonnière des soldats.

Lequel montait à l’échelle

Et lequel guettait en bas ?

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n’y croyait pas ?

 

Qu’importe comment s’appelle

Cette clarté sur leur pas,

Que l’un fut de la chapelle

Et l’autre s’y dérobât

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n’y croyait pas.

 

Tous les deux étaient fidèles

Des lèvres, du cœur, des bras

Et tous les deux disaient qu’elle

Vive et qui vivra verra

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n’y croyait pas »

 

Oui, Hubert tu es toujours présent parmi nous et tu vas pouvoir encore plus nous éclairer là où tu te  trouves maintenant.

François Becker, Mercredi 7 décembre 2011, cimetière du Père Lachaise à Paris.

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